Une expérience spectaculaire entre chiens et louves

dans
la programmation

Le Cirque Le Roux : un cirque contemporain

La troupe au complet est présente sur scène. Au centre, un circassien porte sur ses épaules un autre circassien qui porte sur sa tête une acrobate en grand écart
Fondée en 2014 la compagnie française du Cirque Le Roux développe depuis un cirque contemporain, sophistiqué et poétique. Leurs trois spectacles (Elephant in the room, La nuit du cerf et Entre Chiens et Louves) ont tous été de grand succès fédérant une large audience à travers le monde. Mêlant barre russe, contorsion et acrobaties, chaque membre de la compagnie développe son art de manière virtuose. Entre Chiens et Louves, portés par trois des membres fondateurs de la compagnie – Grégory Arsenal, Philip Rosenberg et Yannick Thomas, anciens étudiants de l’École Nationale du Cirque de Montréal – met notamment en avant leur expertise dans l’acrobatie et leur amour du théâtre.

Considéré comme les inventeurs du “ciné-cirque”, Le Cirque Le Roux propose des mises en scènes cinématographiques dans la mesure où leurs spectacles sont comme la mise en mouvement d’images : ils sont de véritables tableaux prenant vie sous nos yeux. Abordant des sujets profonds donnant matière à réflexion, la compagnie le fait toujours de manière divertissante par l’intermédiaire de représentations rythmées et spectaculaires.

Leurs inspirations premières sont celles de l’expérience humaine et des sensations qu’elle procure. Leurs pratiques artistiques témoignent d’une grande sensibilité permettant au corps de parler. Sorte de langage primaire, permettant au corps de s’exprimer sans filtre, le tout est élégant et sophistiqué créant alors un monde onirique, entre rêve et réalité.

Une épopée historique palpitante

Entre Chiens et Louves est l’histoire d’un homme troublé qui découvre dans son appartement, deux journaux intimes. Leur lecture le plonge dans le monde des deux autrices à savoir les précédentes habitantes de son appartement, vivant respectivement en 1870 et en 1960. Véritable épopée historique, le spectacle nous dévoile peu à peu l’intimité des personnages et nous montre à quel point, malgré l’individualité de chacun, les expériences qu’ils ont vécues et les questionnements qui en résultent peuvent être universels.

Trois circassiens portent une acrobate allongée sur le dos
Pourtant joué depuis maintenant quelques années, réunissant plusieurs milliers de spectateurs et écumant les plateaux télés, la compagnie du Cirque Le Roux préfère rester mystérieuse sur le synopsis de son spectacle. Elle prend le pari que la mise en scène de la vie de ces trois personnages nous poussera à laisser libre cours à notre imagination. Privilégiant le langage du corps plus subtil et symbolique que la parole, les artistes tentent d’éveiller les spectateur.ices aux sensations que leurs corps peuvent transmettre. Ils laissent alors la part belle à la dramaturgie et au travail du geste.

 

Malgré le passé dramatique que le personnage contemporain découvre, l’ambiance reste festive et chaleureuse. La découverte de ces expériences intemporelles vécues par plusieurs des personnages est abordée par un biais enveloppant, faisant résulter d’histoires sombres, une envie de cohésion, de compréhension et de résilience. L’humour adopte en ce sens une place centrale et offre aux personnages, ainsi qu’aux spectateur.ices, un moment de répit, un second souffle leur permettant d’avancer.

« La vie doit être vécue en regardant vers l’avenir, mais elle ne peut être comprise qu’en se retournant vers le passé. » Søren Kierkegaard.

Cette citation, mise en avant par la compagnie elle-même, témoigne de l’importance de la mémoire et du souvenir dans le spectacle. Les histoires racontées par les corps sur scène, sont comme une matière à mémoire de forme : elle se déforme – littéralement – et retrouve, au cours du temps, son enveloppe originelle. La découverte de ces journaux pourrait être l’événement perturbant ce cycle dramatique. Par transposition, Entre Chiens et Louves pourrait transformer celles et ceux qui y assistent.

Un décor aux multiples facettes

Un décor haut de près de 7 mètres avec de nombreuses portes et fenêtres fermées. Le tout est éclairée par une lumière tamisée

 

Ce décor, haut de près de 7 mètres, arrête le regard et fascine. À l’origine conçu en collaboration avec Le Bon Marché pour se fondre dans l’espace central du bâtiment, le décor a été pensé en fonction de considérations esthétiques et pratiques (il fallait qu’il puisse permettre la circulation des acheteur.ices durant la journée et l’installation des spectateur.ices pendant le spectacle). Monochrome et élégant, il voit les artistes le pratiquer de toutes les manières possibles. Tout au long du spectacle, il sera le théâtre de l’intimité des trois personnages à différentes époques. Cela est rendu possible par une scène évolutive qui ne cesse de se transformer et de se révéler à nous. Semblable à une maison de poupées, ce décor nous surprend toujours et laisse notre imaginaire prendre le dessus.

Représentation physique de l’exploration du personnage contemporain qui se plonge dans la lecture des journaux intimes, le décor nous donne à voir l’intérieur des deux autrices et nous permet d’en apprendre plus sur leurs histoires. Lieu à la fois de protection et d’enfermement, il nourrit une ambivalence profonde qui nous permet de saisir les complexités de chaque personnage.

Enfin, il semble être la réalisation matérielle du paradoxe entre différences et unité : trois personnages, trois époques différentes mais un seul intérieur. Cette relation paradoxale semble être une thématique importante pour Le Cirque Le Roux. En effet, ce dernier insiste sur l’identité des artistes qui forment la troupe en détaillant minutieusement leurs pratiques artistiques. De plus, il soutient des projets innovants, notamment en termes de scénographie, pour aider des artistes à développer des univers personnels et créatifs. La compagnie met donc un point d’honneur à conserver l’identité de chaque artiste dans ses créations collectives.

Maëliss Doué