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Le couturier Jean Paul Gaultier a créé les costumes du spectacle Blanche Neige, chorégraphié par Angelin Preljocaj. A sa demande, Gaultier, partenaire de création de la chorégraphe Régine Chopinot de 1983 à 1993, a relevé le défi de ce conte ultra-féminin entre cruauté initiatique et relooking Disney.
Pourquoi l’étape du premier essayage est-elle si tendue ?
C’est un moment difficile, celui où je vois pour la première fois sur un corps humain les costumes que j’ai imaginés et dessinés. Tout d’un coup, on découvre parfois que non seulement, ce n’est pas la bonne matière, mais pas la bonne couleur. Je suis dans un état de choc nerveux. Il faut trouver une direction, analyser, rebondir. On effectue toujours un parcours par rapport à un costume qu’on a dessiné. Heureusement, sa concrétisation passe par d’autres mains et me permet d’avoir une réaction très libre. Le réaliser moi-même m’empêcherait de prendre du recul. Lors d’un essayage, il y a des agencements qui reviennent, des expériences déjà vécues, qui heureusement font partie des commodités du travail. Mais on veut aussi changer, trouver du nouveau. S’adapter à un spectacle, à un chorégraphe, ça aide aussi à aller autre part.
Pour quelles raisons collaborez-vous avec Angelin Preljocaj ?
Je ne travaille qu’avec des gens que j’admire. C’est un luxe. Qu’il s’agisse de Régine Chopinot, qui m’impressionne toujours autant, ou de Madonna, je suis amoureux du travail et j’apprécie la personne. Mais une nouvelle aventure doit me faire aller ailleurs. C’est une histoire d’amour intéressée en quelque sorte. Je connais Angelin depuis quelque temps. J’ai vu certains de ses spectacles comme Eldorado, visuellement magnifique. Les apparitions des danseurs qui sortent de cadres comme par un procédé de morphing sont proches de ce que j’aime.
Que représente Blanche-Neige pour vous ?
Je travaillais depuis quelques mois pour mes collections sur des histoires de princes et de princesses, sur les contes : celui de La Petite Sirène, de Peau d’âne. Lorsque Angelin a évoqué Blanche-Neige, c’était l’évidence pour moi, ce que je cherchais sans y avoir pensé : l’archétype du conte de fées.
Quel personnage préférez-vous dans Blanche-Neige ?
Blanche-Neige évidemment. Mais aussi la méchante reine, qui est assez fascinante dans le registre Cruella. Il me semble plus intéressant de montrer non seulement la femme romantique et douce mais aussi la femme forte, décidée. Les femmes sont plus fortes que les hommes dans les moments difficiles. Nous sommes souvent lâches. Pendant que les petits garçons vont jouer au football, les filles commencent déjà à parler des problèmes qui les intéressent. Mais les hommes se construisent souvent grâce et par les femmes.
Quelle a été votre méthode de travail avec Angelin Preljocaj ?
Il avait des idées précises sur le décor. Lorsque nous avons évoqué la scène de bal, j’ai vu des costumes qui n’en seraient pas vraiment, à la fois historiques, avec des rappels du passé, les codes vestimentaires du conte, mais modernisés et surtout adaptés aux mouvements de danseurs. Il faut aller vers ce que désire l’autre. C’est un très bon exercice.
Cette complicité a-t-elle influencé votre recherche ?
Peut-être, à force d’avoir le nom de Preljocaj dans la tête… Dans Preljocaj, il y a le mot « cage ». Pour ma collection d’hiver 2008, il y a beaucoup de cages, de crinolines, des structures qui se posent sur des robes comme une décoration extérieure, une protection qui change le volume du corps. Comme j’ai pu concevoir des corsets en ne gardant que les baleines, j’ai imaginé des crinolines avec justes des arcs.
Vous vous effacez derrière le ballet. Est-ce facile ?
Ce serait ridicule de me mettre en avant. Une histoire, un ballet, un film, sont avant tout des ensembles et le costume doit s’inégrer dedans. Lorsque je travaille avec quelqu’un, je le respecte, je le flatte, je suis même servile. Peut-être trop parfois tellement j’ai envie d’aller dans son sens, de servir l’histoire. Ça peut d’ailleurs me faire oublier des idées précises que j’avais sur le sujet. Mais sans être prétentieux, j’ai le sentiment que mon style est suffisamment fort pour résister.
Article à retrouver en intégralité dans Le Monde