dans
la programmation
Auteur, acteur, metteur en scène et géographe, Frédéric Ferrer crée son premier spectacle en 1994 avec Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder, puis conçoit des spectacles à partir de ses textes où il interroge notamment les figures de la folie (Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade et Pour Wagner) et les dérèglements du monde.
Après avoir créé un premier Kyoto Forever en 2008, il revient à nouveau aux négociations de l’ONU sur le changement climatique avec Kyoto Forever 2, un spectacle qui met en scène combien la recherche d’un accord international contraignant, visant à limiter la hausse des températures sur le globe terrestre, est longue, difficile, épuisante, dramatique, tragique, intense, burlesque, mouvementée, chaude, et improbable.
Vous développez depuis 2005 les Chroniques du Réchauffement, un cycle qui interroge les effets du changement climatique. En quoi ce sujet vous apparaît-il intéressant d’un point de vue théâtral ?
Frédéric Ferrer : J’ai commencé à traiter du climat sur scène avec Mauvais temps en 2005. Ce spectacle répondait alors à une envie que j’avais de questionner au théâtre la géographie et la climatologie que j’avais étudiées quelques années auparavant. Je souhaitais effectuer une traversée intime du changement climatique, dans un dispositif théâtral et géographique, qui mettait en scène un conférencier à la dérive, et ses assistants pas très coopératifs. Je n’imaginais pas alors que c’était le début d’un cycle artistique, mais ce premier spectacle en a appelé un second, puis un troisième etc… À chaque fois, le travail en cours a donné envie des projets suivants. Les rencontres avec les scientifiques et « connaisseurs » des sujets abordés, la possibilité de se rendre sur les terrains des bouleversements, l’évidence des évolutions, tout cela excitait mon désir de nouvelles scènes. Le changement climatique est un facteur de profondes modifications du globe terrestre et des rapports que les hommes entretiennent avec la vie et le monde. Et ces modifications renouvellent complètement nos façons de penser notre présence sur terre et notre devenir. Elles nourrissent de nouveaux questionnements et aussi de nouvelles narrations possibles du monde. Elles changent la donne. Elles bouleversent la Terre. Elles se déplient dans tous les champs, politiques, économiques, sociétaux et culturels. Et je crois que le théâtre peut être un endroit privilégié et précieux pour expérimenter, et partager ensemble, de manière politique et sensible, ces nouveaux récits du monde en train d’advenir.
Kyoto Forever 2 fait suite à Kyoto Forever, pourriez-vous nous parler de ce premier opus ?
F. F : Kyoto Forever, créé en 2008, a été mon deuxième spectacle sur climat. Les conférences de l’ONU sur le changement climatique qui ont lieu chaque année sont un véritable théâtre du globe. Elles témoignent d’une grande difficulté des négociateurs à s’entendre sur un accord permettant de limiter les émissions de CO2 dans le monde. Cela fait en effet plus de 20 ans que l’on se réunit pour baisser les températures et plus on se réunit, plus elles augmentent… cet échec pose question forcément. Une question passionnante, que j’ai envie de poser sur une scène. Pourquoi l’humanité n’arrive-t-elle pas à s’entendre ? Quels sont les blocages ? Les enjeux ? Le premier Kyoto Forever s’inspirait du déroulé de la COP 13 de Bali en 2007, qui avait été particulièrement « théâtrale », et mettait en scène le jeu diplomatique entre les différentes nations, pour tenter de se mettre d’accord sur une feuille de route, qui visant elle-même à se mettre d’accord pour la COP 15 de Copenhague en 2009. Il annonçait aussi, à sa façon, l’échec de cette tentative.
Quelles sont les raisons qui vous ont amené à considérer l’idée de réaliser un second opus ?
F. F : Lorsque j’ai su il y a trois ans que la France allait accueillir la COP21, qui devait aboutir à un nouvel accord international destiné à remplacer celui de Kyoto (et conjurer l’échec de Copenhague), j’ai tout de suite eu envie de faire un autre Kyoto Forever. Je voulais aller plus loin dans le questionnement de ces conférences de l’onu et tenir compte des évolutions obervées ces dernières années, avec entre autres, la nouvelle place de la Chine. Il y a dans ce théâtre de l’Onu, une telle concentration des enjeux… Se jouent en permanence dans ces assemblées à la fois le devenir du monde et les passions des hommes et des femmes qui y participent, l’universel et l’intime. Ce sont des lieux de pouvoir passionnants, terrifiants, et si absurdes et drôles aussi. J’aime les tordre et les réinventer sur scène. Et puis il y avait en même temps l’envie de se confronter au réel au moment même où il advient. Mettre en scène la COP, quand la COP a lieu. Questionner par le théâtre et le sensible, le politique en train de se faire. Faire théâtre du « théâtre des négociations », sans recul, au cœur de l’événement, au même moment, et au même endroit pratiquement où il a lieu (à quelques stations de RER près).
Vous avez écrit et mis en scène KF2 dans un rapport direct avec la COP21, comment cette proximité a-telle impacté la conception et la réalisation du spectacle ?
F. F : Le processus de création a été particulièrement riche et stimulant. Car le réel de la COP était omniprésent et hyperpuissant. C’était donc un pari énorme pour l’équipe de création de s’immiscer dans l’immensité de ce qui se produisait chaque semaine. L’écriture a été plus difficile que d’habitude. Mais aussi tellement plus riche ! Tellement plus passionnante. Le réel était tous les jours en bas de chez nous, partout, dans la rue, dans le journal, à la télévision, au Bourget, sur internet, et toutes nos répétitions commencaient par des réunions sur l’actualité et sur les positions des différents Etats, leur évolution, la manière dont les choses étaient vécues dans différents endroits du monde, selon les cultures, les histoires, les sociétés… Le fait d’avoir une équipe internationale sur ce projet a renouvelé complètement nos manières de voir et d’appréhender les réalités de chacun. L’écriture a été mouvante, s’est adaptée en permanence aux soubresauts du réel, jusque dans les derniers jours de répétition, et aussi après, lors de l’exploitation du spectacle pendant la COP.
Entretien avec Frédéric Ferrer pour « Focus », revue du théâtre La Vignette à Montpellier (janvier 2016)