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Requiem pour L. c’est avant tout l’histoire d’une collaboration entre Fabrizio Cassol et Alain Platel qui revisitent le Requiem de Mozart.
Les influences du jazz, de l’opéra et de la musique africaine populaire sont réunies autour de cette nouvelle composition. Fabrizio Cassol travaille avec des musiciens qui lui sont familiers mais aussi nouveaux artistes, tandis qu’Alain Platel cherche à traduire visuellement et physiquement les images qu’évoquent le Requiem.
Pour comprendre quelle passion anime les deux artistes, nous vous invitons à lire l’interview croisée de ce duo puissant.
D’où vient cette passion « iconoclaste » pour le Requiem de Mozart ?
Fabrizio Cassol : « J’ai pu travailler à partir d’une copie du manuscrit d’origine que possédait le chef d’orchestre Sylvain Cambreling et j’ai pu distinguer Mozart et son continuateur Süssmayr. Qu’est-ce qui se passe si on enlève tout ce qui n’est pas de Mozart et qu’on complète avec des vibrations qui rendent cette cérémonie actuelle ? La difficulté c’est que chaque graine de la partition de Mozart a un rayonnement si puissant qu’elle influe nécessairement sur tout le reste. On ne peut pas coller ces graines les unes aux autres, on doit trouver le principe de multiplication à l’intérieur de chaque graine. Une logique qui nous relie à la musique africaine, basée sur le même principe de germination, qui produit des musiques très polyphoniques. »
Tu es une sorte d’arboriculteur ?
FC : « Avec la musique, on peut être beaucoup d’êtres : architecte, poète, mathématicien, humaniste, biologiste, et pourquoi pas arboriculteur ? Dans chaque culture, j’aime étudier les graines au départ de la création. »
Cela fait 12 ans vous collaborez sur des œuvres multiculturelles.
Alain Platel : « Quand Fabrizio m’a parlé d’une version moderne du Requiem de Mozart, j’ai hésité mais pas longtemps : c’est quand même une montagne « classique » à escalader ! J’aurais pu mettre de la danse autour de la musique ou montrer des images symboliques. J’ai préféré faire entrer un visage de la mort, le plus vrai possible. J‘ai rencontré un ami médecin très engagé dans les soins palliatifs qui m’a présenté à une de ses patientes. L. qui connaissait mon travail. Après réflexion, elle a donné son autorisation de la filmer dans cette phase douloureuse de sa vie et il nous a fallu trois mois pour obtenir la permission de toute la famille. A partir de là, entre Fabrizio, cette dame, les musiciens et moi, il y a eu comme une dentelle qui s’est créée, pour organiser petit à petit la structure de l’œuvre. Par exemple, comment intégrer ces images dures, sans perturber le public ? »
Comment as-tu surmonté ce tabou ?
AP : « En y mettant la manière, on peut montrer des choses très difficiles mais acceptables par le public. Mon principe est que si moi j’arrive à digérer ces choses difficiles, le public pourra aussi. »
Dans la musique de jazz, le deuil s’accompagne souvent d’un sourire ou même d’une fête. Cette joie est présente ici ?
FC : « La vision occidentale de la joie accompagnant le deuil africain, c’est un peu un cliché. Ici, les musiciens ne sont pas en situation de faire une fête comme s’ils étaient à Kinshasa : on créée une autre cérémonie, qui n’est ni de Mozart, ni de certains rites africains. Autre différence, normalement un Requiem c’est après la mort, or, ici c’est pendant la mort, il accompagne la mort. »
A partir de la mort vous faites un éloge de la vie ?
FC : « Mon architecture musicale est émotionnelle et la douceur en est la clé. Un requiem, genre classique, dégage une émotion semblable pour tous, sans variation émotionnelle. Ici, du début à la fin, les émotions doivent être continuellement en mouvement. Le Requiem de Mozart est un bloc immense, le chœur domine la partition et les solistes n’expriment rien de personnel. Pour moi, il fallait que tout soit personnel et que ces variations individuelles permettent aussi à Alain de construire sa mise en scène. »
Il y a donc une double construction ? Toi, Fabrizio, tu t’arranges avec Mozart et Alain rend homogènes des univers qui ne le sont pas au départ ?
Alain Platel : « J’aime mettre ensemble des univers éloignés. J’ai bénéficié de hasards incroyables, comme L. et sa famille qui acceptent de participer à cette œuvre et qui lui donnent une densité incroyable. Je devais aussi jouer avec les musiciens qui ont des personnalités forts différentes, les mettre tous en valeur individuellement. Lier tous ces mondes, c’est comme un puzzle ou un travail de dentellerie. C’est moi qui dirige tout ça, mais en dialogue permanent avec chacun des individus. »
Interview réalisée par Christian Jade
Source RTBF
Crédit photo Chris Van Der Burght