Au menu du jour : chômage, avortement, chocs pétrolier… – Le dîner chez les français de VGE

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la programmation

Attention mesdames et messieurs, dans un instant, ça va commencer ! Installez-vous dans votre fauteuil bien gentiment… ce spectacle va durer 7 ans !

7 années, soit la durée exacte du mandat de Valéry Giscard d’Estaing, troisième président français de la 5ème république.

“Regarder la France au fond des yeux” et voir comme elle est mouvante


Nous sommes en 1974, on fume au-dessus du parc pour bébé, la tapisserie est fleurie et le téléphone à cadran. Le téléviseur diffuse les dernières heures d’antenne 2, on écoute Sheila à la radio et on s’extasie devant le minitel. Cette même année, Valéry Giscard d’Estaing remporte les élections présidentielles face à François Mitterrand à l’âge de 48 ans et devient alors le plus jeune président français. Titre réatribué depuis.

Fort de sa jeunesse et d’un programme politique annoncé progressiste, il entend se moderniser en matière de communication, en comparaison de ses prédécesseurs. Parmi les idées, une est, peut-être, au comble de l’innovation : et s’il s’invitait à dîner chez les “français ordinaires” ? Bingo. Ce vœu sera exaucé tout au long de son septennat durant lequel il participera en effet à plusieurs de ces dîners.

Au plateau, Léo Cohen-Paperman, metteur en scène, choisit de nous présenter dans ce spectacle la famille Deschamps-Corrini qui accueillera Valéry Giscard d’Estaing et son épouse Anne-Eymone en ce soir de 31 décembre 1974.

Autour de la grande table normande se réunit toute la famille, parents, fille, gendre, sans oublier l’adorable petit-fils, José. Trois générations, comme autant de possibilités de montrer une société qui se fissure quelque part entre mai 68 et ses contestations, et cette quasi veille des années 80 qui fera la part belle aux plaisirs et libertés individuels.

Le mandat de V. Giscard d’Estaing est marqué, entre autres, par l’abaissement du droit de vote à 18 ans, la dépénalisation de l’avortement, l’instauration du divorce par consentement mutuel, mais aussi par deux chocs pétroliers, la fin des 30 Glorieuses et l’arrivé d’un chômage de masse. Autant de faits marquants qui s’invitent tour à tour au dîner, entre l’entrée et le dessert. De quoi électriser l’ambiance.
Et soudain, l’excitation un peu curieuse, bien présente avant que les convives ne franchissent le pas de la porte, laisse place au chaos et à une certaine amertume. Reflet d’une fin de mandat où ce président d’abord reconnu comme progressiste et conservateur, finit par s’attirer les foudres de ces deux partis opposés.

Vous reprendrez bien un peu de teurgoule ? Pas sûr.

Invoquer huit rois sur les planches et voir comme on peut en rire


En revanche, on se délecte d’avoir l’occasion de retrouver les Deschamps-Corrini, car se racontent au long cours, et aux travers des yeux de cette famille, les huit présidents de la cinquième république, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron ! Le metteur en scène, Léo Cohen-Paperman, en collaboration avec Julien Campini et toute sa compagnie “animaux en paradis” a précisément pour objectif de dresser les portraits des huit rois.

À chacun son angle esthétique et sa figure narrative, bien entendu, mais ce dîner, narré par le petit José, n’est qu’un épisode au milieu d’une grande série. Ainsi, le metteur en scène fait incarner, dans son travail, une histoire commune à toutes et tous, celle de la cinquième république française, créant alors un théâtre politique. Ou plus spécifiquement une comédie politique, enlevée, piquante et malicieuse, mais jamais idéologique. Loin du documentaire militant, ce spectacle est musical et fédérateur et que nous ayons connu Valéry Giscard d’Estaing ou non, on se laisse emporter par cette satire politique et sociale autour de ce président.

Léo Cohen-Paperman peut se targuer qu’autour de son œuvre théâtrale, la politique rassemble, observation faisant honneur à ce qu’il défend au sein du collectif Nouveau Théâtre Populaire : un théâtre ouvert et accessible.
Ou un théâtre qu’il est autrement possible de définir, en empruntant les mots d’Antoine Vitez d’ “élitaire pour tous”.

Pour l’heure, on ne saurait que trop vous souhaiter de vous régaler de cette pièce absurde et culinaire. À table !

Justine Komé