dans
la programmation
Torpeur, entourée de Annonciation et Noces, deux des pièces les plus emblématiques du répertoire d’Angelin Preljocaj, forment un triptyque d’une beauté époustouflante, entre passé et présent.
ANNONCIATION (1995)
C’est une ode sensible au mystère de la création, alliant images sacrées et sensualité aux gestes ciselés. Cette pièce donne corps et mouvement à l’annonce faite à Marie de sa prochaine maternité par l’archange Gabriel. L’intrusion de l’ange dans l’univers intime de Marie apporte avec lui l’annonce du bouleversement métabolique de son corps. C’est pourquoi, bien que dans le texte la Vierge exprime une soumission sereine à l’événement, de nombreux artistes lui ont donné des attitudes exprimant le doute, l’inquiétude, voire la révolte. Avec la palette d’un peintre des corps, Angelin Preljocaj donne à voir une gestuelle toute en expressivité entre extase et douceur. Une réelle tension vient sublimer les questions du religieux, de la sainteté, du double et de la mort.
Cette genèse ramène au mécanisme même de la création artistique, le message passant du virtuel au réel.
TORPEUR (2023)
Dans cette création les corps en mouvement interrogent les différents états pour entrer en torpeur. La torpeur est un état de corps, entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement, et l’abandon, cet état évoque un renoncement. Un curieux sentiment d’étrangeté circule dans les parties les plus secrètes du corps. Le squelette lui-même semble flotter au bord de la dislocation, provoquant une suspension dans le temps et l’espace qui interroge l’urgence de se mouvoir.
Cet état de corps peut générer aussi une forme de sensualité voire une grâce languissante. Le contact et la relation à l’autre s’engagent alors lentement. Convoquer à nouveau les corps, l’espace et le temps, pour trouver un rythme à la lenteur et peut-être inventer une nouvelle grammaire paresseuse de l’hébétude, voilà les enjeux de ce projet.
NOCES (1989)
Les Noces ont toujours sonné pour Angelin Preljocaj comme une étrange tragédie : tradition des Balkans ou regard d’un enfant fantasque. Lorsque la mariée apparaît elle s’offre comme une forme renversée d’un rituel funèbre, elle verse les larmes en s’avançant vers cet enlèvement consenti.
Les mouvements des danseurs épousent étroitement l’effrayant magma rythmique de la musique, suivent les accents, les changements de tempo et de mesure. Cela va à toute allure, avec une sauvagerie démesurée. Preljocaj violente ses danseurs, étire leurs corps, explore les limites, les élans primitifs, les chocs. Et pour désarticuler plus encore il se sert de poupées de chiffons qu’hommes et femmes envoient en l’air et brutalisent en un rituel barbare. Ce qui se passe durant les noces est suggéré avec autant de violence que dans la musique.
Entretien
Vous ouvrez cette soirée par Annonciation. Quelle était votre intention pour ce duo féminin, devenu emblématique, entre Marie et l’ange Gabriel ?
Je voulais explorer ce que l’idée de religion a insufflé dans l’art, en quoi elle a été inspiratrice de créations fortes et d’œuvres nombreuses. Si la peinture s’est maintes fois posée sur l’Annonciation, la danse l’a quasiment évacuée, ce qui est étonnant. Le thème interroge pourtant le corps, son bouleversement, et parle aussi de rencontre et de naissance à venir. Par glissement, c’est aussi une réflexion sur l’art conceptuel que j’ai explorée.
Avec Torpeur, c’est une nouvelle création que vous nous offrez …
Je l’ai envisagée comme une articulation contrastée entre les deux pièces de répertoire. Si l’on aime le printemps, c’est aussi parce que l’on a traversé l’hiver. Le passage d’une saison nourrit le plaisir d’en aborder une autre et c’est la même chose avec un programme. Torpeur nous fait passer d’un état à un autre dans une forme de complémentarité et d’opposition. Elle s’éloigne de la douleur, invite à une forme de lâcher-prise, à un état de corps plus rond, et crée le désir d’une pièce comme Noces qui est touffue, énergique et sauvage.
Cet état de corps, l’éprouvez-vous vous-même au moment de la création ?
Dans ce cas, je n’étais pas dans un état de torpeur ! Mais lorsque je crée, je suis à fleur de peau et dans une auto-critique permanente par rapport à ce que j’essaie de montrer. C ’est une hypersensibilité terrifiante qui peut être douloureuse et anxiogène mais qui n’exclut pas la jubilation.
Noces, que vous avez créée il y a plus de 30 ans, garde toute sa férocité et son engagement physique. Elle résonne même de manière plus forte et directe aujourd’hui. Comment la ressentez- vous ?
Je vois bien, en effet, qu’elle trouve un écho plus aigu aujourd’hui où les questions de parité, d’équité et de violences faites aux femmes sont prégnantes. Elle a cependant, pour moi, toujours résonné de la même manière. Dès l’adolescence, je me suis inscrit en réaction à une culture patriarcale et à certains diktats familiaux oppressants. Noces était sans doute avant-gardiste sur le fond mais sa forme et le jeu d’écriture avec la musique de Stravinsky avaient rencontré l’enthousiasme du public. Aujourd’hui, le plaisir de la forme et du fond convergent et j’en suis ravi.
Cette réflexion sur la forme semble soutenir votre travail …
Alors que la forme est parfois méprisée – ne dit-on pas « c’est formel ! » -, on n’a pourtant rien trouvé de mieux qu’elle pour exprimer le fond. Un contenu a besoin d’un contenant pour être porté et pour ne pas tomber dans le vide. Comment peut-on lire sur le corps telle émotion, telle idée ou tel état ? Comment peut-on lui donner une forme ? C’est ce qui me fascine.
Angelin Preljocaj
Propos recueillis par Vinciane Laumonier
Distribution et mentions complètes
ANNONCIATION
Création 1995 – Pièce pour 2 danseuses – 20 min
Chorégraphie et scénographie Angelin Preljocaj
Danseuses Verity Jacobsen (Marie) et Mirea Delogu (Ange)
Musique Stéphane Roy (Crystal Music), Antonio Vivaldi (Magnificat)
Interprétation Ensemble international de Lausanne / Orchestre de Chambre de Lausanne dirigé par Michel Corboz
Costumes Nathalie Sanson
Lumières Jacques Chatelet
Assistant, adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch
Répétitrice / Choréologue Dany Lévêque
Spectacle créé en résidence au TNDI – Châteauvallon Chorégraphie primée au Bessie Award 1997 à la 13ème édition du New York Dance & Performance Award
TORPEUR
Création 2023 – Pièce pour 12 danseurs – 30 min
Chorégraphie Angelin Preljocaj
Danseurs Mirea Delogu, Antoine Dubois, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Jack Rexhausen, Simon Ripert, Valen Rivat-Fournier
Musique 79D
Costumes Elenora Peronetti
Lumières Éric Soyer
Assistant, adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch
Répétitrice / Choréologue Dany Lévêque
Coproduction Festival Montpellier danse 2023
NOCES
Création 1989 – Pièce pour 10 danseurs – 30 min
Chorégraphie Angelin Preljocaj
Danseurs Mirea Delogu, Antoine Dubois, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Yu-Hua Lin, Erwan Jean-Pouvreau, Simon Ripert, Valen Rivat-Fournier
Musique Igor Stravinsky, Noces
Interprétation Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence dirigé par Roland Hayrabedian
Costumes Caroline Anteski
Lumières Jacques Chatelet
Choréologues Noémie Perlov, Dany Lévêque
Assistant, adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch
Répétitrice / Choréologue Dany Lévêque
Direction technique Luc Corazza
Régie générale Virgile Olvieri
Régie lumière Philippe Roy
Régie scène Mario Domingos
Commande 1989 Biennale nationale de danse du Val-de-Marne
Production Maison des Arts de Créteil, TNDI Châteauvallon – Toulon, Alpha – FNAC, Arsenal – Metz, Centre National des Arts d’Ottawa
Partenaires
Ballet Preljocaj, Centre Chorégraphique National
Subventionné par Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC PACA, Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, Département des Bouches-du-Rhône, Métropole Aix-Marseille Provence, Ville d’Aix-en-Provence
Et soutenu par Groupe Partouche – Casino Municipal d’Aix-Thermal, Particuliers et entreprises mécènes ainsi que des partenaires.
© photo J.C. Carbone