dans
la programmation
Quand Kristien De Proost est en scène, elle ne reste pas immobile une seconde, mais sur l’affiche du spectacle Au courant, elle ressemble à un petit paquet d’humanité recroquevillé dans une vitrine.
Cela pourrait être une installation d’art plastique intitulée Autoportrait. On vous voit de près, mais en même temps, l’image est douteuse et tordue.
Au courant évoque la possibilité de s’appréhender, la tension entre la volonté de se saisir de soi-même et celle d’échapper à cette emprise.
Et cette emprise n’est pas uniquement « spatiale », mais également « temporelle » ?
C’est pour cette raison que le spectacle s’appelle Au courant. Mon point de départ a été la question : « Qui est Kristien De Proost ici et maintenant ? », ainsi que l’envie de mettre en scène cet état actuel. En même temps, j’essaie de défier et de manipuler physiquement cet état – c’est le jeu.
Dans une tentative de « figer » votre façon d’être, vous touchez à l’art plastique. Les autoportraits de Lucian Freud ont été une source d’inspiration pour vous.
Oui. Dans un tableau, une certaine situation est figée, alors que dans un spectacle de théâtre, on court toujours derrière les faits. Le moment où on tente de décrire ce qui existe, arrive toujours trop tard, il est invariablement déjà passé. En regardant les autoportraits de Freud, on s’aperçoit d’ailleurs que son regard se déplace au fil du temps. Ses premières toiles sont plutôt hautaines, comme s’il regardait le monde de haut. À mesure qu’il vieillit, la perspective descend et se fait plus effacée. Il se représente comme étant plus petit, plus vulnérable. C’est beau.
Une autre inspiration est l’autoportrait de l’auteur français François de La Rochefoucauld dans ses Maximes (1665), qui commence par une description physique très précise de lui-même.
Oui, mais il ne parvient pas longtemps à maintenir cette exactitude. La même chose m’arrive dans Au courant : d’une tentative de description précise, mon autoportrait glisse vers une foule de choses moins simples à analyser. Même si on s’efforce de se regarder objectivement, l’aspect factuel nous échappe à un certain point. J’ai d’ailleurs répété l’exercice de La Rochefoucauld : en guise de préparation à la rédaction du texte, je me suis laissée interviewer par plusieurs personnes. Quelqu’un m’a demandé de me décrire sans l’aide d’un miroir. Il est très amusant de voir quelles caractéristiques on mentionne en premier, quels détails on cite, ce qu’on laisse de côté. Quand j’étais plus jeune, je pensais, par exemple, que j’avais des yeux minuscules. Ce n’est que quand mes petits amis se sont mis à me parler de mes « beaux grands yeux » que j’ai laissé tomber cette image. On peut se tromper énormément dans sa façon de se voir. Et le plus drôle, c’est qu’on a besoin des autres pour parvenir à déterminer un certain nombre de choses sur soi-même.
Peut-on dire que ces derniers temps, vous vous épanouissez davantage comme auteur et créatrice ?
Je pense que c’est vrai pour nous trois au sein de Tristero. À côté du répertoire existant, nous avons toujours présenté des créations que nous écrivons ensemble, comme Reset ou Coalition. Ce texte est bien sûr le premier que j’ai écrit seule. Je me sens très attirée par l’écriture ; c’est une aspiration pour moi. Et si c’est une aspiration, je suppose que c’est aussi une ambition, non ?
Interview de Kristien De Proost, par Evelyne Coussens (De Morgen, 21/03/13, trad. Martine Bom)
Crédit photo Youri Dirkx