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la programmation
Considérée aujourd’hui comme un classique du théâtre italien On ne paie pas ! On ne paie pas ! est une pièce engagée et satirique de Dario Fo et Franca Rame, d’abord écrite en 1974 et d’ailleurs baptisée Faut pas payer, dans un premier temps. Et les deux auteurs, soucieux d’ancrer leurs propos dans l’actualité, proposent une réécriture de la pièce en 2008, en pleine crise des subprimes, c’est à cette occasion qu’elle devient alors On ne paie pas ! On ne paie pas !
La pièce se déroule à Milan, dont les rues sont secouées par des luttes ouvrières en 1974, et met en scène pour commencer deux femmes : Antonia et Margherita qui ont commis un geste peut-être aussi désespéré que vindicatif, mais empreint de rébellion : elles refusèrent de payer leurs courses à la caisse du supermarché. Dès les premières minutes, la lumière est faite sur les injustices sociales dont les deux protagonistes sont victimes, au même titre que des milliers d’autres foyers italiens, et l’élan de solidarité qui surgit entre elles, alors que les autorités sont à leurs trousses.
Ce geste, motivé par un besoin vital, déclenche des quiproquos en chaîne et quelques tensions au sein de cet appartement au décor épuré et, permettons-nous de le remarquer, un peu bancal.
Là s’exprime tout le travail du metteur en scène Bernard Levy, un certain rythme, un goût pour le burlesque et pour le comique de situation et une volonté de préserver la farce, imparable moyen de dénonciation, venant appuyer un texte déjà reconnu pour être jubilatoire. Car bien plus qu’une critique sociale, il offre des dialogues cinglants.
“L’emballement comique comme une forme de poésie – une universalité semblable, par exemple, à celle de Chaplin dans Les Temps modernes” Bernard Levy
Dans ce théâtre populaire, il est autant question des luttes des femmes, qui s’affirment dans cette société patriarcale que de cette inégalité économique qui entraîne cette révolte du peuple, en commençant avec celles qui gèrent le foyer. En effet, la figure de la femme dans la pièce, loin de se limiter à un rôle passif, nous rappelle l’importance de la résistance face à l’oppression, qu’elle soit sociale, économique ou même domestique. La convergence des luttes était déjà une évidence avant même que la notion inonde la sphère médiatique.
« Nous sommes sous-payés, donc nous ne payerons pas ! Sous-payés, on ne paie pas ! Et ça, c’est pour tout l’argent que vous nous avez volé depuis des années et des années sur tout ce qu’on achète ! »
Dans un décor modeste et une atmosphère en apparence banale, les protagonistes, Antonia et Margherita, ne sont ni des révolutionnaires en quête de gloire, ni des héroïnes revendiquées, ce sont des femmes ordinaires, plongées dans une situation extrême. Tâchant de faire fi du dilemme moral, elles s’érigent contre la violence du quotidien en s’affranchissant d’un geste Ô combien coutumier.
On ne paie pas ! On ne paie pas ! est une invitation à voir la condition humaine dans sa fragilité, mais aussi dans sa capacité à se rebeller. L’occasion également de se souvenir que, parfois, il n’est pas tant question de l’acte en lui-même, mais du contexte qui le justifie.
Cette pièce trouvera en vous une résonance douce-amère, bien qu’écrite au début des années 1970, elle se veut résolument contemporaine. Et peut-être que vous trouverez en elle l’inspiration dans ce refus. Loin d’être un appel à la révolte, on peut se permettre de regarder les choses autrement. Car si on se reconnaît dans ce quotidien, parfois lourd à porter, mais que l’on continue à avancer, les bras chargés de courses ou de rêves impossibles, voici l’occasion toute trouvée de se poser la question du prix à payer, pour un peu plus de liberté.
Justine Komé