Des traditions et du rythme, recette pour un incontournable de la danse contemporaine ? – d’après une histoire vraie

dans
la programmation

Cette pièce chorégraphique part d’un souvenir. Elle naît d’un ressenti, du souhait de faire revivre une vibration, sans chercher à s’approprier une tradition culturelle.

« En 2004, à Istanbul. À quelques minutes de la fin d’un spectacle auquel j’assiste, surgit comme de nulle part une bande d’hommes qui exécute une danse folklorique très courte et disparaît aussitôt. Une émotion profonde, presque archaïque, m’envahit. Était-ce leur danse ou le vide laissé par leur disparition qui m’a bouleversé ? Bien que floue, cette sensation est restée depuis ancrée en moi. Le point de départ de ce projet est la réminiscence ou plutôt la recherche de ce que ce souvenir a déposé en moi. Je n’éprouve pas d’intérêt à recréer une danse pré-existante, mais plutôt à comprendre pourquoi j’ai éprouvé une telle empathie à la fois pour ce moment précis et pour cette danse et comment cet impact est encore aujourd’hui vibratoire. » Christian Rizzo

Ce spectacle emblématique se compose de huit danseurs et de deux batteurs évoluant sur un plateau presque vide. Dix silhouettes vêtues de tenues sombres, contrastant avec le tapis de danse blanc. Des instruments se trouvent sur une estrade au fond de la scène et quelques éléments de décor sont disséminés sur le sol. Un décor sommaire, à l’esthétisme qui n’a d’aucune manière pu être laissé au hasard par ce chorégraphe, metteur en scène, musicien et designer…

Mais cela suffit à la création d’une proposition trépidante. Pour tout dire il n’en faut vraiment pas plus pour se faire happer par cette forme brute et authentique.

Les premières secondes se font sans musique puis celle-ci apparaît doucement, jouée en live. D’abord des simples battements avant de se faire plus intense, poussant naturellement les mouvements à accélérer. Le rythme serpente et rebondit au travers des corps et devient une invitation. Une incitation à vous laisser emmener par ce que dicte le bruit des pas, la répétition tranquille et doucement hypnotisante de ces hommes qui se balancent, se croisent, s’accompagnent et créent du lien entre eux jusqu’à créer des rondes qui se font et se défont. Un début géométrique.

Passé le temps de la rencontre entre les interprètes, la mesure devient assurément entraînante, les corps se tiennent et se retiennent sans s’embarrasser des manières d’une première fois. Toute la seconde moitié du spectacle est alors habitée par une autre énergie, une autre impulsion plus intense et plus chargée. D’autres histoires se racontent sur ce plateau dénué de décor. On devine la célébration, l’hommage et le sens de la communauté. Derrière chaque mouvement se place une intention, celle de transmettre.

Enfin, les dix dernières minutes laissent place à l’apothéose, plus aucune trace de rudesse, mais l’aboutissement d’un héritage savamment transmis pour enfin s’achever sur ce qui pourrait s’apparenter à un rite. La frontière entre modernité et tradition n’existe plus.
C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que cette pièce est emblématique de la danse contemporaine. Elle ne représente que trop bien ce courant presque indéfinissable qui naît d’une volonté de s’émanciper d’une danse classique ou traditionnelle très codifiée. Sans omettre que cette danse, d’abord terrain d’expérimentation, se nourrit constamment, à l’instar du chorégraphe Christian Rizzo, de différentes cultures, influences, disciplines… Peut-être pourrions-nous nous permettre de dézoomer, d’étendre cette réflexion à la culture avec un grand « c », celle qui, de manière générale est le lieu d’échanges, de circulation des idées, des mouvements, l’exemple que l’autre est source d’enrichissement et la preuve que l’ouverture est raison de votre rayonnement.

Justine Komé